Ibrahim Ahmad Maqari : Les dimensions spirituelles et culturelles dans les relations maroco-nigérianes

Ibrahim Ahmad Maqari : Les dimensions spirituelles et culturelles dans les relations maroco-nigérianes

Professeur Ibrahim Ahmad Maqari : Les dimensions spirituelles et culturelles dans les relations maroco-nigérianes
Professeur Ibrahim Ahmad Maqari : Les dimensions spirituelles et culturelles dans les relations maroco-nigérianes

Les dimensions spirituelles et culturelles des relations maroco-nigérianes[1]

 

Au nom d’Allah le Tout-Clément et le Très Miséricordieux.

Louange à Allah glorifié en toute langue, reconnu pour Sa Générosité, Sa Prévenance et Sa gracieuse gratitude; Il a créé l’Homme et lui a appris à s’exprimer clairement; et qu’Allah appelle Sa prière et Son salut sur notre Seigneur Mohammad, élu parmi les enfants d ‘Adnane; ainsi que sur les Siens purs et sur ses Compagnons, les plus nobles d’entre tous, tant que s ‘accordera l’astre polaire à son jumeau, et tant que la nuit et le jour discorderont.

Votre Majesté, Commandeur des croyants,

J’ai l’honneur, ci-devant Votre présence, de soumettre cette conférence, si Vous l’autorisez, afin d’évoquer quelques-unes des dimensions spirituelles et culturelles des relations maroco-nigérianes; et ce, partant de la Parole d’Allah, qu’Il soit exalté:

«Ô Hommes ! Nous vous avons créés d’un mâle et d’une femelle, et Nous avons répartis en peuples et en tribus, pour que vous entre-connaissiez. Le plus noble d’entre vous, auprès d’Allah, est le plus pieux. Allah est Omniscient et bien Informé». [Al-Hujurat ‘les appartements’ :13]

Car le Maroc et le Nigeria sont unis par de profus liens de foi, et par des relations humaines indéfectibles, profondément ancrées et amplement enracinées, pour l’étude de laquelle il faudrait convoquer une grande équipe interdisciplinaire de chercheurs spécialisés pour lui rendre justice. Quoi qu’il en soit, et en respect de la règle de la jurisprudence qui accorde que la solution aisée soit jamais écartée par celle pénible nous dirons, implorant l’aide d’Allah, qu’il soit exalté.

Le contexte du verset, argument de notre conférence et la réalité de la relation maroco-nigériane imposent que l’on traite le sujet en quatre axes:

Le premier axe traitera de la dimension humaine, inspirée de l’appel divin aux gens; appel signifié par l’apostrophe présente dans l’amorce du verset;

Le second axe portera sur l’aspect social, manifeste dans l’expression du verset: « pour que vous vous entre-connaissiez »;

Le troisième axe évoquera l’aspect spirituel, déduit de la Parole d’Allah, qu’Il soit exalté : « Le plus noble d’entre vous, auprès d’Allah, est le plus pieux » ;

Le quatrième axe permettra de traiter de l’aspect scientifique et culturel, entrevu dans la Parole d’Allah, qu’il soit exalté : « Allah est Omniscient et bien Informé ».

Le premier axe : la dimension humaine

L’humanisme est l’une, des propriétés essentielles de l’Islam. Il occupe une place d’importance au sein de ses axiomes théoriques et dans ses applications pratiques. Humanisme qui a été rigoureusement associé à ses croyances, à ses rituels, à sa méthode et à son éthique. Il est d’une grande sagesse de souligner dans les premières révélations, à la sourate Al-‘alaq (l’Adhérence), que le mot ‘homme’ est répété deux fois, cependant que l’ensemble des cinq versets contextuels ont pour objet une favorable attention envers l’Homme; et ce, bien que l’on puisse considérer que le Coran, comme l’affirment quelques savants, est déjà dans sa totalité un Livre humaniste. Car son discours est consacré soit à évoquer l’homme, soit à lui parler.

Le Coran a donc une visée humaniste. Ce qui ne s’oppose point à la nature divine de ses finalités, tant le Créateur n’est pas l’opposé de la créature. C’est peut-être même qui transparait de l’adjonction glorificatrice des ‘hommes’ par trois fois dans la même phrase; où Il dit, ainsi est-il le plus Puissant des orateurs : « Dis : ‘je cherche refuge auprès du Seigneur des hommes, le Roi des hommes, le Dieu des hommes, de l’aube naissante, contre le mal du tentateur perfide»  [An-Nâs ‘les Hommes’ :1-4].

Il est entendu ici par  »humanité » les caractéristiques qualifiant un individu, un groupe d’individus, sinon l’Oumma entière, dans le cadre d’une conscience collective bienfaitrice en quête de l’achèvement de la perfection, et qui se manifeste dans les  relations mutuelles des individus ou des nations. L’on peut condenser les caractéristiques dans la parole d’Allah, qu’il soit exalté: « Soyez plutôt solidaires dans la charité et la piété… » [Al-Mâ’ida ‘la table’ :2].

Partant, Sa divine Parole, qu’il soit exalté, au début du verset guidant cette causerie « Ô vous les hommes » puis « d’un mâle et d’une femelle » est la plus évidente confirmation des liens de parenté humaine qui rattachent tous les hommes les uns aux autres. Et qu’Allah agrée l’œuvre du père des deux Hassan, Ali ibnou Abi Talib, qui semble expliquer ce verset quand il affirme : « Les gens sont de deux types: ils sont soit un frère dans la religion, soit un semblable dans la création ».

On en déduit que l’intérêt de l’appel divin est d’instaurer un principe d’égalité entre les fils de l’Homme. Les nigérians ont donc retrouvé dans l’islam, cette nouvelle religion à laquelle les marocains les ont convertis, leur religion innée ; où il n’y a absolument aucune place à la ségrégation raciale ou à la supériorité des uns par rapport aux autres. Ce haut principe humain a, depuis, été entretenu, et il a protégé de ses auspices les liens entre le Maroc et le Nigéria, au point que les cénacles de Marrakech avaient ouvert la voie devant l’homme de lettres Nigérian Abou Ishaq de Kanem pour enseigner dans leurs plus prestigieux établissements, très fréquentés alors de savants et d’hommes riches en sciences, à l’heure où ses frères Africains étaient conduits enchaînés et ligotés et conduits vers les marchés de servitude occidentaux.

Ce raffinement moral est la seule explication possible au fait que les rois du Kanem­ Bornou Nigérians faisaient venir dans leurs cours les ouléma Marocains, comme il apparait dans la lettre adressée par l’un des sultans de Bornou, en l’an huit-cent quarante­ trois de l’Hégire, à quelques ouléma Marocains, sous le règne Mérinide, et dans laquelle il leur reproche leur longue absence : « Pour quelle raison avez-vous renoncé aux bons usages de vos grands prédécesseurs ? Pourquoi ne daignez-vous plus descendre parmi nous et envoyer les émissaires comme vous le fîtes avec notre souverain ; venez donc comme à votre habitude, le pays est le vôtre comme il a été le pays de vos anciens !»

Et, parmi les traits humanistes de cette relation, se trouve également le vivre-ensemble pacifique, en dépit de la différence de religion. Car, parce que les Marocains ont été reconnus pour la fiabilité de leurs transactions, les rois idolâtres de l’Afrique de l’Ouest recouraient à leurs services dans la gestion des affaires étatiques et leurs confiaient les plus hautes responsabilités, comme cela fut attesté historiquement dans les deux royaumes du Ghana et d’Oyo; ce dernier se trouve dans la partie occidentale du Sud de l’actuelle Nigéria. Les nobles qualités morales et éthiques de ces conseillers ont été déterminantes et ont ouvert la voie devant l’expansion de l’Islam.

Le deuxième axe : l’aspect civilisationnel

S’il fallait un seul terme pour qualifier les relations maroco-africaines ce devra être s’entre connaitre, dont l’on voit une occurrence dans le verset qui nous inspire. L’on remarque que le contexte coranique ne s’est pas arrêté aux limites de l’expression ‘faire connaissance’, à sens unique. Le Vrai, qu’Il soit exalté, n’a pas dit « pour que vous fassiez connaissance », mais bien « pour que vous vous entre-connaissiez », car ‘s’entreconnaître’ se définit par cela même qu’il présuppose la reconnaissance des spécificités, et évite la dissolution des identités culturelles des peuples qui’ s’entre-connaissent.

Et si les théoriciens ont donné des définitions très hétéroclites du concept « civilisation », la matière brute dont ont été forgées toutes celles-ci est précisément « s’entre-connaître ». La reconnaissance de l’autre, notion voisine de l’entre connaissance, est plus forte et plus parlante que le concept de  »tolérance », galvaudé ces jours-ci. Parler d’entre-connaissance nous conduit, si nous voulons fixer les concepts, à évoquer la civilisation définie par certains comme « toute production ou œuvre qui reflète les spécificités intellectuelles, affectives, comportementales de l’homme social conscient, dans le cadre de hautes valeurs, et principes idéaux, qui fait le bonheur de l’humanité tout entière. »

Certains ouléma musulmans ont conclu, après en avoir sondé les profondeurs dans le noble Coran, à un sens islamique de la civilisation et qui est « La présence-au-monde et la posture de témoignage, dans tous ses sens, et dont est issu un modèle humaniste induisant les valeurs de la foi en l’unicité et en la déité avérée. De ce modèle émerge une dimension métaphysique corrélative à l’unicité du Créateur de l’univers, qui en a fixé les règles et les lois et qui en détient le destin et le devenir. Partant, le rôle de l’Homme et sa mission consistent dans l’accomplissement d’une lieutenance du Créateur, en peuplant Sa Terre, en la développant, en y rendant possible le bien-vivre des gens, en parachevant son plein empire sur elle, en mettant à profit ses avantages, en traitant pour le mieux les choses mises à sa disposition dans l’univers et en édifiant des relations paisibles avec elles. Car celles-ci sont des créatures qui magnifient Allah ou sinon, chacune d’elles est un de Ses biens que l’Homme doit préserver, et dont il doit prendre soin, par obligation religieuse. L’homme doit également établir des relations avec les autres fils de l’Homme, partout sur terre ; relations fondées sur la fraternité, la concorde, l’amour du bien et la quête commune du bonheur Ici-bas et dans l’Au-delà. »

Cette conception coranique de la civilisation est celle-là même qui recouvre les relations maroco-nigérianes ; relations qui plongent dans les profondeurs du temps, jusqu’avant le Cinquième siècle avant Jésus-Christ, époque du « commerce muet » d’après l’expression d’Hérodote, c’est-à-dire le troc sans aucune négociation verbale. Le commerce muet étant la plus vieille forme qu’a connue l’humanité en termes de transactions financières, construites sur la confiance et la droiture.

Et, peu après la moitié du XIème siècle chrétien, le géographe Andalou Marocain, Abu 0baïd Al-Bakri, fait une description minutieuse des chemins et voies commerciales transsahariennes ; dont certaines, ont été, à l’époque, très connues par les caravanes partant de Marrakech, Tlemcen, Tunis et Tripoli à destination du Sud, traversant le Sahara pour atteindre les principaux centres commerciaux en Afrique de l’Ouest.

L’historien britannique John Donnelly Fage rapporte comment quelques Marocains assuraient le rôle d’agents commerciaux intermédiaires entre les Nigérians et les Européens ; en élisant domicile dans les centres commerciaux de l’actuelle Nigéria où ils attendaient l’arrivée des denrées qu’ils redistribuaient, et en centralisant, à leur tour, les marchandises qu’ils expédiaient vers le littoral.

L’Islam a donc déferlé, à travers ces négociants Marocains, tel des torrents du haut des montagnes, irrigant de vastes contrées de ce que l’on appelle actuellement le Nigéria. Quelques-uns de ces Marocains se sont mêlés aux locaux et se sont installés parmi eux, ce dont est issue une descendance. Les Arabes, célèbres au Nigéria sous le nom d’Arabes Choas, comptent par millions et représentent un pourcentage conséquent de la population. Ils sont basés essentiellement dans les provinces nord-orientales. Ils sont issus de tribus arabes originelles, dont quelques fractions ont migré depuis le Maroc ; leurs origines respectives peuvent remonter jusqu’aux Qawâlim, aux Tawâbit, aux Hamidiyyah et aux Chawâfi. Ils maintiennent encore leur langue vivante et leurs coutumes arabes originelles. Parmi leurs hommes les plus célèbres, l’on compte le Chérif Ibrahim Saleh AI-Houssaini, actuel mufti des contrées nigérianes.

Quelque chercheur Marocain voit que les usages et la culture de la langue Haoussa, la langue africaine la plus répandue, après l’arabe, sont le produit d’une proximité interculturelle maroco-nigériane. Il dit: «Ainsi, les berbères se sont mélangés aux Noirs et aux Arabes dans le Sahara, et dans ses versants occidentaux et méridionaux; les us, les coutumes et les lignages se sont mélangés et les relations se sont consolidées; de ce métissage est issu le peuple Haoussa.»

Le Huitième siècle de l’Hégire ne s’était pas encore achevé lorsque l’acculturation avait atteint son apogée. L’écrivain viennois Jeofaney Lorinzo, sur la base d’informations recueillies en 1575, dit: « Kano est considérée, à côté de Fès et du Caire, comme l’une des villes les plus importantes d’Afrique. A telle enseigne que le visiteur, selon les Marocains, ne manquera de rien de ce qu’il pourrait y rechercher. Elle se trouve à la tête d’un triangle dont la base est Fès et le Caire, par rapport auxquelles elle se trouve à égale distance».

Ce sont là paroles exactes. Kano, la plus grande cité islamique subsaharienne, a été redessinée sur le modèle de la ville de Fès, grâce aux architectes Wangaras Maliens qui ont acquis leur savoir-faire chez l’ingénieux architecte marocain Abou Ishaq Ibrahim As-Sahili,

Et à la suite de bouleversements de la traditionnelle route marocaine de la caravane du Hajj, pour cause des violentes luttes entre les Ottomans et les Européens qui avaient investi, durant la première moitié du XVIème siècle de l’ère chrétienne, le bassin méditerranéen, le pays Haoussa est devenu une escale pour les Marocains en voie vers le Hijâz.

Quant au niveau officiel, une correspondance a été entretenue entre le prince Sâadien Ahmed Al-Mansour, et le souverain du Royaume de Kanem Bornou. Correspondance qui a finalement abouti à l’envoi d’un pacte d’allégeance envers le Prince Sâadien, de la part du souverain de Kanem; sauf que la mort inattendue, en cours de route, de l’ambassadeur du Kanem, a empêché l’arrivée de la lettre à son destinataire. Il y a eu également d’autres correspondances similaires entre les princes Sâadiens et ceux du Royaume de Kabi, qui se trouve actuellement dans le Nord du Nigéria.

Quant à la visite de l’éminent savant Mohammed Ibnou Abdelkarim El-Maghili à Kano, au neuvième siècle de l’Hégire, elle est considérée comme une nouvelle victoire éclatante, non pas seulement pour Kano mais aussi pour l’ensemble des provinces des Haoussas. Parce qu’El-Maghili avait une immense maîtrise quant à l’architecture des lignes de la politique jurisconsulte dans ces contrées. Il leur a montré les stratégies à adopter pour désigner les cadis, pour faire respecter les lois et pour réformer les affaires sociales par le biais des contrôles financiers et commerciaux, la hisba aussi bien que les systèmes d’enseignement à adopter, la formation des imams et des prédicateurs et la proscription de la nudité publique, qui avait encore cours dans certains milieux à cette époque. A tel point que l’auteur de l’ouvrage ‘ Les traditions de Kano’ affirme que les caftans, les turbans et les robes amples, considérés actuellement comme le costume national traditionnel de toutes les tribus musulmanes du Nigéria ont été généralisés du temps du prince de Kano Mohammad Ramfa, qui avait fait venir l’imam El-Maghili ; et c’est ce qui renforce les présomptions que ces façons de s’habiller faisaient partie du lot de présents offerts aux habitants du Nigéria, initialement.

Le troisième axe : le principe spirituel

Allah a mis, dans le verset qui nous occupe, une aune précise pour qui voudrait obtenir Sa grâce, et une piste pour qui voudrait concourir en émule avec Ses élus. Il dit, car Il est le seul détenteur de la Puissance du verbe: « Le plus noble d’entre vous, auprès d’Allah, est le plus pieux »; la piété a failli devenir synonyme de la foi en l’unicité divine dans le Coran. Allah, qu’Il soit exalté, dit: « … en leur inspirant (les croyants) de suivre la voie de la piété» [al-fath ‘la victoire’ :26].

Ibnou Rajab affirme: « La piété est le testament d’Allah au bénéficie de toutes Ses créatures; elle est le legs du Messager d’Allah, qu’Allah appelle sur lui Sa Prière et Son salut, au profit de sa Oumma. Le Messager, qu’Allah appelle sur lui Sa Prière et Son salut, quand il désignait un émir à la tête d’un peloton en expédition, lui recommandait, en ce qui concernait particulièrement ce dernier, de rechercher la piété devant Allah et de veiller pour le mieux sur ses compagnons. Et quand le Messager, qu’Allah appelle sur lui Sa Prière et Son salut, a prêché lors du dernier pèlerinage, appelé  »pèlerinage d’adieu « , le jour du sacrifice, il a recommandé aux gens la piété en craignant Allah et en obéissant à leurs imams. Quand il eut fini sa prédication, les gens dirent :  »Ce nous semblent des prédications proches d’un adieu, conseille-nous donc; il dit : «Je vous recommande la piété, [la disponibilité à] l’écoute et l’obéissance».

La piété est la wilaya (l’alliance divine); et les pieux sont les fervents protégés d’Allah. Les deux, piété et wilaya, sont intimement liées, tel qu’en témoigne le Coran. Allah, qu’il soit exalté, dit : «…alors que ses vrais gardiens [la mosquée sacrée] sont ceux qui craignent le Seigneur» [Al-Anfâl ‘les prises de guerre’ :34].  Et Il dit, seul détenteur du verbe Puissant: «En vérité, les servants d’Allah ne connaîtrons ni crainte ni peine, car ceux qui ont la foi et qui craignent le Seigneur…» [Yûnus ‘Jonas’ : 62-63].

Et si quelques saints hommes ont défini la piété comme la disposition absolue à l’obéissance aux commandements et à l’absolu bannissement des malfaisances, de manière à se faire agréer par Allah, qu’il soit exalté, et non pas par un quelconque serviteur, la définition conduite se trouve être, identiquement, l’une des plus célèbres interprétations du soufisme; celle-là même choisie par notre seigneur Abou Al-Abass Ahmad Ibnou Mohamad At-Tijani, qu’Allah agrée son œuvre. C’est en se référant à cette vue que le discours sur la piété peut être dit le même que celui sur le soufisme, à propos duquel la communauté des ouléma musulmans est unanime sur ce fait qu’il représente la méthode sunnite de la purification-élévation, comme il est l’une des révolutions spirituelles dans l’Islam.

L’Islam a pénétré au Nigéria par la voie soufie, grâce au mouvement almoravide. Nous nuancerons en disant que l’Islam pourrait s’être répandu dans ces contrées grâce aux commerçants, comme nous le savons et comme mentionné plus haut, cependant il faut préciser que les Almoravides ont, eux, œuvré à accélérer l’islamisation du Soudan occidental, qui était déjà en cours, mais de façon lente et graduelle.

Et, depuis, se sont installées des zaouïas de « voies soufies », dont certaines sont d’origine moyen-orientales comme la Qadiriyyah et la Rifaiyyah, mais qui ont toutes convergé vers l’Afrique de l’Ouest, et au Nigéria particulièrement, en empruntant les accès marocains et après en avoir pris les allures, avant de disséminer dans l’Afrique de l’ouest. La tariqa Qadiriyyah par exemple s’est diffusée grâce aux Cheikhs Kountis  »dont la famille s’était installée pendant une certaine période dans la région de Touat, puis s’est implantée au cœur du Sahara et des régions du Soudan de l’Ouest ». Des auteurs voient que Mohammed Ibnou Abdelkarim El-Maghîlî fut le premier à introduire la tariqa Qadiriyyah au Nigéria, car le cheikh de l’ensemble du tariqa au Nigéria est le grand résistant Othmane Ibnou Foudy, fondateur de l’état islamique Foudy, dont la chaîne de maîtres-tuteurs dans la tariqa remonte jusqu’à Mohammed Ibnou Abdelkarim El-Maghili.

Ceci dit, le véritable soulèvement de cette relation spirituelle, n’a commencé qu’avec l’installation de la zaouïa Tijaniya à Fès, ce qui fut l’œuvre de notre seigneur Abi Al-Abbas Ahmad Ibnou Mohammad At-Tijani et qui a ouvert une nouvelle page des relations maroco-nigérianes, pour la cause de laquelle les cœurs des Musulmans Nigérians se sont attachés au Maroc, d’une façon dont seul Allah connait la profondeur.

Car actuellement se trouvent des dizaines de milliers de zaouïas Tijaniya, dont chacune constitue en réalité une légation culturelle du Royaume du Maroc au Nigéria. Inutile de demander jusqu’à quel point vont l’allégeance, l’amour, la compassion, et la sincérité des prières dans l’isolement comme dans les manifestations publiques; et ainsi se sont attachés des cœurs au Maroc, d’un attachement sans nul pareil.

La tariqa Tijaniya a pris naissance à Fès, alors Capitale de la dynastie Alaouite, sous le règne du Sultan Moulay Slimane. Son fondateur est notre seigneur Abou Al-Abbas Ahmad Ibnou Mohammad At-Tijani; ce fut le début d’un mouvement saturé du désir de répandre l’Islam et la tariqa en Afrique et dont les plants furent parmi les plus fructueux.

La tariqa a gagné l’Ouest de l’Afrique grâce au pieux, versé dans la connaissance d’Allah, le Cheikh Mohammad Al-Hafidh Al-Alaoui At-Tijani, l’un des plus éminents disciples du fondateur de la tariqa. C’est chez lui que fut formé le cheikh moujahid Omar Al-Fouty par truchement; ce dernier a accompli les actions connues dans la diffusion de la tariqa Tijaniya aux confins de l’Afrique, et c’est lui qui l’a introduite au Nigéria, grâce aux liens de parenté étroits qui l’unissent avec la famille Foudy et avec les princes du Royaume du Kanem-Bornou, à telle enseigne que l’on dit que le Sultan Mohammed Bello Ibnou Cheikh Othmane Ibnou Foudy a été initié à la tariqa par le cheikh Al-Fouty.

Puis arriva, au Vingtième siècle, l’homme qui a le plus fait pour la diffusion de la tariqa tijaniya : le cheikh Ibrahim Niass Al-Koulkhi, dont les adeptes constituent la plus large classe sociale en Afrique de l’Ouest, et au Niger particulièrement. Un journal marocain a estimé le nombre de ses adeptes, de son vivant, à pas moins de quarante millions d’âmes.

Et, sommes toutes, «l’Afrique et son Sahara ont retrouvé dans la dynamique duelle sunnite : la Dynastie Alaouite et la tariqa tijaniya, le meilleur des apprêts pour propager la pensée islamique et les édifices de la sounna mahométane; le Maroc en a acquis une renommée qui a fait des Rois Alaouites les pionniers de l’unité, de la Mer Méditerranée au fleuve Niger. »

L’on ne peut refermer cet axe sans signaler que parmi les saints hommes affidés à l’amour d’Allah rencontrés, dans ses voyages, par Ahmad Al-Yamani (qui venait de Fès), se trouvait Sidi Abdallah Ibnou Abdeljalil Al-Bornoui, des miracles duquel le renom avait largement gagné le Maroc, notamment grâce au même Al-Yamani et grâce à l’ouvrage composé par Abdelhay Al-Halabi et qu’il a titré : « Myrte des cœurs, à propos des mystères occultes du Cheikh Abdallah Al-Bornoui ».

Votre Majesté

Parmi les merveilles de la destinée telle qu’Allah, le Très-Puissant et l’Omniscient, en détient les fils, est que la rencontre entre le cheikh Nigérian avec son disciple Ahmad Al-Yamani qui venait de Fès au Nord du Nigéria, a eu lieu la même année de la fondation de l’histoire de votre noble Dynastie Alaouite chérifienne.

Le quatrième axe : le principe scientifique et culturel

La science est à l’origine de tout bienfait. Elle libère les esprits des illusions qui les restreignent, et elle prédispose l’œuvre à l’agrément divin ; elle dévoile devant le savant la voie de la vérité et du bien ; elle éclaire le sentier de la bonne guidance et les chemins du salut ; et elle lui ouvre les yeux sur l’intelligence des signes du Seigneur de tous les mondes. Allah, ainsi est-il le plus Puissant orateur, dit : « Ce sont là des exemples que nous proposons aux hommes; mais seuls les hommes sensés sont à même de les comprendre» [Al-‘Ankabût ‘l’araignée’ :43].

Et, certes, l’Islam adopte, à l’égard de la science, une posture qui n’est égalée par aucune autre religion révélée ni par aucun choix méthodique séculier, à commencer par l’incitation à sa quête, par l’instigation à son acquisition, par le devoir de sincérité dans sa recherche, par le rang particulier -sis hormis celui du commun des mortels-, attribué aux gens de science pour leur connaissance recherchée d’Allah et la crainte qui lui est due. Et, enfin, les gens de science y sont glorifiés, et il leur est promis le bonheur éternel au Paradis.

Les relations maroco-nigérianes, dans ce domaine, ont largement dépassé le niveau de l’échange vers l’acculturation complète, dans tous les sens du terme ; s’agissant d’interaction des éléments constitutifs de l’existence de l’homme, qui doivent être reliés entre eux pour faire sens ; et c’est peut-être cela même qui a poussé à proposer le concept de « culture scientifique » où l’on voit la résultante de trois composantes : la culture, la science et la méthode scientifique.

La culture ici est l’ensemble des connaissances, des sciences, des lettres, des arts que l’homme apprend; elle est spécifique à l’intellect. Elle est comprise dans le sens d’un pont dressé vers la civilisation, qui, elle, est considérée comme la matière spirituelle perçue dans une machine inventée, un édifice érigé, un régime de gouvernance pratiqué. La civilisation est sensible, alors que la culture est mentale.

Ainsi, dans le domaine culturel, se manifeste la puissante influence du Maroc sur le Nigéria, à travers la doctrine malékite qui s’est disséminée en Afrique de l’Ouest et qui maintient encore son fort impact, défiant toutes les tempêtes qui tentent d’en déstabiliser les ancrages. Les programmes d’enseignement au Nigéria sont construits en référence à la jurisprudence malékite, comme, par ailleurs, la Constitution nigériane stipule l’obligation d’inclure les fatwas de la doctrine malékite dans les tribunaux de la Chariaa; cette doctrine est adoptée par la commission des fatwas, et tous les ouléma qui ont émergé et se sont imposés au Nigéria sont des malékites, sans exception aucune.

Ce solide ancrage est explicable par la richesse de la doctrine en elle-même. Elle est également attribuable aux titanesques efforts consentis par les ouléma Marocains pour la consolidation de ses appuis en Afrique subsaharienne. Puis elle est due encore aux efforts des ouléma Nigérians eux-mêmes, qui veillent à maintenir vivant cet héritage par l’étude, l’enseignement et la composition d’ouvrages, à tel point qu’ils en ont maîtrisé les sinuosités et les vallons, et en ont sondé les trésors bibliothécaires et les silos ; ils ont fait, finalement, du mot Alem (savant) le synonyme de ‘faqih selon le rite malékite’.

A l’exception de quelques références orientales, elles-mêmes arrivées au Nigéria à travers le Maroc, le chercheur découvre une bibliographie -qui s’étend à perte de vue- de titres d’ouvrages d’auteurs Marocains sur la base de laquelle sont qualifiés les étudiants du ‘ilm au Nigéria. Le défunt professeur Mohammad Ibrahim Al-Kattani, dans la présentation de l’édition philologique de Fath Ach-chakour d’Al-Oualati, cite une longue liste d’ouvrages Marocains qui constituent la bibliographie essentielle des étudiants en ‘ilm au Soudan occidental; le Nigéria n’est donc pas une exception dans ce domaine.

Le curriculum adopté dans l’enseignement, quant à lui, a été construit par les ouléma Marocains. Toutes les institutions de l’enseignement traditionnel l’adoptent depuis l’entrée au premier degré [le kouttab] et le début de la mémorisation du Coran, selon la version de Warch, jusqu’à l’apprentissage de l’écriture, selon la typographie marocaine spécifique par sa forme, son dessin, ses signes suprasegmentaux, et l’ordre de son alphabet ; puis l’apprenant est autonomisé pour la mémorisation des ouvrages fondamentaux (moutoune) scientifiques, en fiqh, en langue et en lettres. Cette influence peut devenir, parfois, directe, par la voie de la fréquentation réelle des savants Marocains, dont la présence dans ces régions n’a jamais été interrompue, dans le but de soutenir ces apprentissages. Elle peut, d’autres fois, être indirecte, à travers les ouvrages et les compilations marocaines largement diffusées, célèbres au Nigéria, au point de devenir des références incontournables.

En ce qui concerne la fréquentation directe, l’on estime que, de manière absolue, le poète Ibrahim Ibnou Yakoub de Kanem (décédé en 609 de l’Hégire) est le plus ancien africain ayant fréquenté les établissements marocains en quête de formation. Sa renommée fut grande grâce à deux vers poétiques qu’il avait clamés en présence du Prince Al­ Mansour l’Almohade :

Il a retiré son voile entre nous et mon œil

Le voit, de crainte devant sa grandeur, derrière un voile

Et il a daigné me rapprocher de lui, sauf que

Je m’en suis éloigné, de déférence, quand je me suis ou approché.

De nombreux savants Nigérians ont reçu leur formation au Maroc, parmi eux l’on compte le Cheikh Mohammad Amine Al Kanni qui, pendant deux ans, avait résidé à Fès, et qui avait visité Tripoli, Kairouan et Tlemcen et avait, après son retour à Bornou, œuvré grandement à la diffusion du ‘ilm. Il a été intronisé sur le Royaume de Kanem-Bornou. Il fut célèbre par sa science, sa rectitude, sa piété, ses ambassades dans les pays arabes, et ses querelles avec les princes des royaumes islamiques, limitrophes ou lointains.

A l’autre versant, toutes les générations s’accordent à citer, des savants Marocains qui ont rendu visite au Nigéria et qui y ont laissé des héritages méritoires, leurs bienfaits et à les en célébrer ; tel sont les exemples du Faqih Makhlouf Ibnou Ali Ibnou Saleh El ­Balbali (décédé en 940 de l’Hégire) et d’Abderrahmane Ibnou Siqqine, mort en 956 de l’Hégire. Cependant, l’héritage le plus estimable dans la diffusion des sciences islamiques au Nigéria est attribué à l’Imam savantissime Mohammad Ibnou Abdelkarim Al-Maghili (décédé en 909 de l’Hégire) et qui s’est installé quelque temps dans les deux villes de Keshena et Kano ; avec le prince de cette dernière, à l’époque Mohammad Ramfa (903 de l’Hégire), il entretenait une relation si solide que celui-ci en avait fait son conseiller aux affaires religieuses. Ainsi, il fut le premier à instaurer un système de justice, de Hisba et d’administration pour le Royaume de Kano, à travers ses lettres d’orientation, comme le signale l’auteur cité dans le deuxième axe (Principe civilisationnel). Ces lettres ont été réunies sous le titre de ‘Correspondances sur les affaires de l’administration et de la politique d’État’ ; et une autre épître a été imprimée séparément sous le titre : ‘Recommandations à propos de ce qui est permis au gouvernant pour réprimer l’illicite’.

Les lettres et fatwas d’El-Maghili ont été, durant de longs siècles, la référence de base dans la démarcation et l’éclaircissement de la voie à suivre par les gouvernants dans la gestion des affaires. Son influence a persisté durant des générations après lui, tant et si bien que nous avons découvert que les fondateurs de la dynastie Fouda, après quasiment trois siècles, ont estimé que les fatwas d’El-Maghili et ses lettres sont la source de lumière qui les illumine et le maître qui les guide. Ils n’ont eu de cesse de le citer et d’argumenter en recourant à ses idées et à ses opinions.

Le savantissime Cheikh Othmane lbnou Foudy s’est basé sur les ouvrages de l’Imam El-Maghili dans l’organisation des affaires de sa principauté au niveau administratif et politique et dans la gestion des affaires de gouvernement et de jihad, et, avant cela, dans la théorisation des fondements de la pensée sur la base de laquelle l’Etat Foudy s’est érigé. A tel point que des chercheurs estiment que le Cheikh Othmane lbnou Foudy n’a pas eu d’autre inspiration aussi importante qu’El-Maghili; ce qui est effectivement très manifeste dans tout ce qu’il a composé et laissé en héritage. Un chercheur Marocain a reconstitué les références du Cheikh Othmane lbnou Foudy dans ses ouvrages, qui dépassent la centaine, et a abouti à la conclusion qu’elles sont toutes d’origine marocaine, sauf rare exception.

Et si l’on devait citer un ouvrage spécifique, choisi sans nul autre, et qui influence le mouvement réformateur Foudy, il n’y aurait aucun doute que ce serait Al-Madkhal [L’Introduction] d’lbnou Al-Hâj Abdari Al-Fassi ; ouvrage socio-éducatif où son auteur décrit nombre de situations de la société musulmane, ainsi que l’état des hérésies et des déviations des gens de son époque, et il s’intéresse à rectifier les comportements du musulman dans sa vie quotidienne. L’intérêt porté par Cheikh Othmane lbnou Foudy au Madkhal a été si important qu’il l’a condensé dans un opuscule intitulé Loubab Al-Madkhal, puis il l’a imité dans un autre ouvrage Ihyâe as-sounnah wa ikhmad al-bidâa (revivification de la sounna et extinction des feux de l’heresie).

Seigneur, Votre Majesté Commandeur des croyants !

Ces relations spirituelles, humaines et culturelles ont leur profondeur historique et leur horizon humaniste, si ancrée que personne ne peut ni les renier, ni les effacer ni entraver leur chemin par un quelconque obstacle. Et combien les colonisateurs ont tenté de le faire, et ont abouti à des échecs cuisants. Et si Vos nobles Aïeux ont toujours été les gardiens de ces relations tout au long de l’Histoire, les grandes œuvres que Vous entreprenez pour réunir la famille africaine sont véritablement une reviviscence de l’héritage de Vos aïeux et ancêtres. Le hadith affirme : « L’homme oblatif n’est pas celui qui donne; il est celui qui, si un lien utérin devait être rompu, fait en sorte qu’il soit renoué». Il n’y a nul doute que ces hautes initiatives seigneuriales constituent un rétablissement des liens de fraternité humanistes et de profession de foi, que les escrocs ont tenté de rompre, sans y jamais réussir.

Les initiatives Marocaines dans ce domaine ont été honorablement accueillies, de la part des plus éloignés comme des plus proches. Voici, par exemple, le directeur de L’Observatoire d’Études Géopolitiques (OEG) français témoignant que l’engagement du Maroc envers l’Afrique et ses aspirations en a fait «L’unique pays Arabe qui dispose d’une politique africaine claire et continue, d’une connaissance précise et de relations humaines, culturelles et religieuses fructueuses avec les pays africains.»

Et, pour finir, nous adressons nos vifs remerciements, la gratitude augurant de surcroîts de biens à Sa Majesté le Commandeur des croyants pour ses magistrales actions en faveur de la solidarité maroco-africaine, particulièrement, et dans tous les domaines de la bienfaisance, dont la volonté de servir l’Islam et d’être utile à l’Homme. Actions au nombre incalculable, et dont on ne peut dénombrer que quelques-unes: telles la dernière visite de Sa Majesté Commandeur des Croyants au Nigéria qui fut véritablement une triomphale ouverture à de larges horizons de coopération maroco-nigériane. Telle, pareillement, la Fondation Mohammed VI des Ouléma Africains, sur laquelle nous fondons de grands espoirs d’une nouvelle aube qui dissipera les nuages qui ont trop couvert le ciel de notre discours religieux. Toutes, donc, autant d’entreprises édifiées sur l’amour du bien, et sur la volonté de répandre la vertu; marquées du signe de la Maison du Prophète. Nous t’implorons, Ô Allah notre Seigneur, de bénir Sa Majesté Commandeur des croyants, et d’être son allié et de permettre qu’il soit le continuel recours du peuple Marocain, loyal, et celui de l’Oumma islamique d’un extrême à l’autre. Nous t’implorons, Ô Allah notre Seigneur, de le rassurer en son Prince héritier le Prince Moulay Al-Hassane, et de l’assister de son frère Moulay Rachid, ainsi que de l’ensemble des membres de la noble Famille Alaouite. Amen, Ô Toi, qui es l’Audient, le Proche, le Prompt à exaucer les prières !

Pr. Ibrahim Ahmad MAQARI, Imam de la Mosquée nationale à Abuja et Enseignant chercheur à l’Université Bayero Kano, Nigéria

[1] Causerie religieuse hassanienne prononcée en présence d’Amir Al-Mouminine. Sa Majesté Le Roi MOHAMEMD VI, qu’Allah le glorifie et l’assiste, Jeudi 6 Ramadan 1438 de l’Hégire (01/06/2017).